Preface II
«Tu me parles avec des mots,moi je te regarde avec des sentiments.» Dans Pierrot le Fou,Anna Karina adresse à un Belmondo écrivain cette phrase devenue culte qui pourrait finalement évoquer ce passage complexe entre l'émotion produite par un film et la critique textuelle qui en est tirée.
Exercice complexe et subjectif,car on fera dire tout et son contraire à la critique.
Très regardée en France,quelques auteurs et publications reconnues ont fait de la critique de film un art. Là où certaines sont faiseuses de roi,d'autres plumes acerbes ont défait les trajectoires,douché les ambitions,ruiné les carrières.
On repense au récent film de Xavier Giannoli,Les Illusions perdues,cité dans le présent ouvrage. Adaptation du roman éponyme de Balzac,la critique y est l'un des personnages principaux,et on ne peut s'empêcher de penser à la vie de l'écrivain pour y voir dans cette satire incisive un certain règlement de compte envers ses critiques. Dans une scène cruelle et cynique,le sort d'un ouvrage pourtant réussi est scellé sur l'autel de «de la mauvaise foi,de la fausse rumeur et de l'annonce publicitaire» journalistique.
Car finalement,le jeune critique y apprend que tout n'est que point de vue et qu'il s'agit d'adopter celui qui sied. «Si le livre est émouvant,tu dis qu'il est complaisant. S'il a un style classique,qu'il est académique;s'il est drôle,il est superficiel;s'il est intelligent,il est prétentieux;s'il est inspiré,il est racoleur!Puis,tu déroules...» lui expose le rédacteur en chef conscient de son pouvoir.
Critiquer un film,c'est se l'approprier. C'est passer d'un visionnage passif à une compréhension qui n'appartient qu'à soi. C'est verbaliser ce quelque chose d'intime qui se passe entre l'image projeté et l'œil qui la regarde. C'est se forcer à réfléchir pour parfois accéder à une signification qui nous manquait. Ou parfois rester conscient de ce quelque chose d'un peu magique qui nous échappe.
Ce que cet ouvrage rappelle notamment,c'est que chacun peut atteindre cet horizon supplémentaire.
Bravo et merci à Mme Ambre,passionnée de cinéma et brillante francophone qui a étudié en France,de l'avoir écrit. J'en en souhaite la lecture à toutes les amoureuses et tous les amoureux du cinéma,ici à Shanghai et ailleurs.
Joan Valadou
Consul général de France à Shanghai